La première fois



La première fois, donc, c’était au Quai des Brumes. Au mois de décembre. On va t’appeler Simon pour l’instant ok? Juste parce que c’est moins long que Monsieur Quai-des-brumes. J’ai passé toute la soirée à te dévisager, tu as dû me voir, je devais avoir la bave qui coulait. Mais je suis pas allée te parler. Pas capable.

Je suis sûre que tu m’as remarquée. C’est peut-être parce que je suis allée aux toilettes tellement de fois ce soir-là et que tu t’es dit « eille check la fille avec la plus petite vessie sur la terre ». Est-ce que tu t’es dit ça? Peut-être que tu t’es dit « j’ai trouvé l’amour de ma vie ». Mais alors, tu serais venu me parler, non? Remarque. Moi, je suis pas allée.

J’ai pensé me pitcher au bar pour te rentrer dedans « sans t’avoir vu ». Classique et quétaine, je sais. Même si les gars remarquent jamais rien et que quand une fille se catapulte sur le bar juste pour leur dire « ah salut désolée je t’avais pas vu vas-y avant non toi non vraiment c’est moi qui s’excuse ah bon merci d’accord et puis tu fais quoi dans le vie à part couper les autres dans un bar ah non je veux dire te faire couper hihihi comment tu t’appelles? », ils comprennent toujours pas ce qui vient d’arriver. Reste que parfois, ça fonctionne. J’ai déjà rencontré un gars comme ça. En tout cas. Cette fois-ci, j’y ai pensé mais je l’ai pas fait.

Pour être tout à fait honnête faudrait que je vous dise que j’étais pas toute seule, ce soir-là. J’étais avec Phil. Phil, c’était mon chum. J’aurais pu aller expliquer à Simon que c’était en train de chier, qu’on cherchait une façon de se laisser. Mais je savais pas par où commencer. Tout lui garocher ça d’un coup ça aurait été un peu intense. « Salut moi c’est Sophie je te trouve vraiment cute. Tu me jettes par terre en fait comme ça fait longtemps que c’est pas arrivé. Je sais on se connaît pas et je suis pas toute seule mais bientôt, oui. Non pas ce soir. Ce soir je peux pas. Quatre ans c’est long. Tu comprends? Il faut se laisser comme du monde. J’ai pas toujours les priorités aux bonnes places mais des fois oui et même si j’aimerais salement mieux sauter dans la pluie avec toi toute la nuit je vais partir en espérant que le hasard te mettra sur mon chemin. »

J’aurais pu te dire ça. Je suis plutôt partie sans savoir ton nom. À cause de l’autre, beaucoup, mais peut-être aussi parce que j’avais pas encore vraiment réalisé que je voulais te revoir. Je l’écris là comme si c’était arrivé d’un coup, mais en fait ça prend du temps à mon cerveau pour réaliser les grandes vérités toutes simples de la vie.

Je me suis quand même dit : la prochaine fois qu’on se voit, si tu me donnes autant de papillons dans le ventre :
1) Je commence un blogue sur cette histoire absurde.
2) J’irai te parler.

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